Message de Jean Lievens (curé-doyen du Fléronnais)
Chaque année, avec la liturgie du carême, nous revient l’image du désert. Et, bravement, l’équipe liturgique et le clergé se “cassent la nénette“ à en faire goûter le sens pour notre existence. Le Peuple de Dieu est passé maître dans l’art de spiritualiser les réalités en usant largement de beaux textes, beaux chants, liturgies sans cesse repensées, méditations et allocutions diverses.
Je ne renie aucunement l’importance de ce travail. Cependant, – entre nous – ne risquons-nous pas de planer de temps en temps au-dessus des réalités “bassement terrestres“ ?
Le SDF, la femme battue ou la famille érythréenne en fuite coincée entre la Turquie et la Grèce s’en fichent, de nos belles symboliques et de nos élévations spirituelles ...que je crois pourtant grandement nécessaires !
Et voilà que le désert, il vient chez nous ! Solitude, silence, arrière-fond d’angoisse, mort et autres caractéristiques de ces lieux dépouillés se sont imposés – pour la plupart, très modérément – sous une forme inattendue. Nous n’évoquons pas seulement des réalités que nous n’expérimentons guère : nous les ressentons ! Et même le plus imperméable d’entre nous se pose peu ou prou l’une ou l’autre question sur l’essentiel et l’accessoire, sa fragilité, l’interdépendance, les priorités individuelles ou collectives, le civisme, la fraternité, et même peut-être « Qu’est-ce que je fais de bon de ma vie ? » Cette année, il n’y a pas que les Chrétiens qui pratiquent la remise en question typique du carême !
Même si je les trouve très sympathiques et réjouissantes de créativité, je regretterais presque le foisonnement de discours, considérations et propositions innombrables qui fleurissent pour nous éviter presqu’obsessionnellement de ressentir le vide. Car, en Occident, le désert et le silence font peur.
Pour les parents qui doivent occuper 3 enfants dans un appartement de 5 pièces sans jardin ou le prisonnier sans visite, je suis évidemment heureux de ces propositions !
Mais, à la plupart de ceux qui liront ceci, je souhaite d’éprouver le manque et de ne pas remplir trop facilement le vide. Vous jugez cela déplacé ?!... mais si toutes les religions ont un jour inventé le jeûne, ce n’est pas parce qu’on manquait de tout et qu’il fallait économiser les ressources ! C’est parce que ce qui se creuse alors, ressenti dans les tripes et pas seulement intellectuellement, change plus sûrement l’être humain que 36 pensées. « La réalité est plus importante que l’idée » dit le pape François.
Alors, il est grand temps de me taire.
Consciemment, volontairement, votre curé n’a pas envie de chercher à trop remplir ce désert. J’y pense depuis plusieurs jours : il me semble plus “juste“ – avec la réalité et aussi avec ce que je suis – de ne pas vous proposer 36 méditations, homélies, prières, beaux textes dont vous trouvez déjà pléthore en quelques clics (par exemple sur ce site) ! En un peu moins de 12 ans dans le Fléronnais, si je compte 35 WE par an, j’ai peut-être prononcé 385 homélies – sans compter les messes de semaine, en maison de repos, etc. : des paroles, je vous en ai assez données ! Autant que moi, vous avez l’Évangile et l’Esprit Saint ! Alors, comme des adultes, comme les Pères du désert des premiers siècles à qui leurs maîtres spirituels se contentaient de dire : « Retire-toi dans ta cellule : elle t’enseignera tout ! », je vous laisse savourer les découvertes qui naîtront en vous, plus précieuses que bien de celles qui vous seraient données d’ailleurs, car vraiment vôtres ! ...À moins que la sagesse qu’acquièrent les moines au long de leurs innombrables heures de solitude ne vous intéresse pas !... libre à vous !
Une chose encore :
Puisque je viens d’ajouter au paradoxe en vous envoyant, une fois encore, des mots, je vous en prie : que ce désert soit fécond en actes ! Coup de téléphone amical, incontournable virement à Entraide & Fraternité ou toute autre ONG soigneusement choisie, signature d’une pétition d’Amnesty pour défendre un opprimé – vous trouvez tout cela en ligne – : nombreux sont les moyens de ne pas se contenter d’ « aimer Dieu qu’on ne voit pas » en oubliant « d’aimer son prochain qu’on voit » – enfin... que l’on voit un peu moins ces temps-ci.
Si, parce que nous ressentons davantage le manque, nous (re-)devenons un peu plus solidaires de ceux dont la vie est un manque permanent, nous n’aurons pas perdu notre temps !
Ci-dessous donc, maintes informations et possibilités de nourrir votre retraite (dont le message de notre évêque) et ci-joint (petit cadre beige), des moments de célébration pour vivre le carême et la Semaine Sainte à domicile...
Fraternellement,
Jean LIEVENS, curé-doyen du Fléronnais
Vendredi 27 mars 2020